Témoignage d’un kiwanien, au plus près des inondations

Mardi 13/07
  • 19:00
    On annonce une « grosse » pluie pour la fin de la semaine sur l’ensemble de la Belgique. On rigole, on se dit que ce sera chez nos voisins, nous décidons de continuer à vaquer à nos occupations sans faire plus attention aux risques annoncés.
 Mercredi 14/07
  • 02:00
    La pluie commence à tomber légèrement. On regarde la météo avec nos collègues néerlandophones, le constat est le même partout, il fait gris, sombre…. Heureusement nous sommes au chaud à Bruxelles !
  • 14:00
    Ma fille me téléphone en larme de la maison. La pluie est violente, frappe contre le toit, tout bouge, la rue ruisselle.
  • 14:15
    J’annule mes réunions. Je décide de rentrer sur Liège pour rassurer.
  • 14:45
    Impossible de rouler par moment sur l’autoroute, la pluie tombe à seau (et des grands). On ne voit plus rien, sauf des véhicules sur le bas-côté, endommagées ou non. La vitesse de croisière descend à 40 km/h, tous phares allumés, et j’ai l’impression de rouler à tombeau ouvert. Il me reste encore 50 Km à parcourir !
  • 15:30
    Arrivé à la maison, plus de peur que de mal, l’habitation va bien, tout le monde est au chaud (sauf le chat qui reste introuvable). On regarde la pluie tomber, impuissant.
  • 17:00
    Alerte rouge lancée par l’IRM sur toute la province. Tout le monde vérifie autour de lui.
  • 20:00
    Mon meilleur ami me téléphone, « l’eau arrive dans la cave ». Je m’en fous pour le moment, la situation de maman est plus critique (elle habite le long de l’Ourthe).
  • 22:00
    La maison est en sécurité, tout le monde va bien. Je pars pour me rendre chez maman (20 Km de chez moi). Le trajet semble interminable, malgré une voiture équipée (4X4 – 2,8T). Impossible de garder l’adhérence, les routes sont des ruisseaux, des glissements de terrain commencent sur les « zones connues », les petits ruisseaux montent à vue d’œil.
  • 23:30
    J’arrive près de chez maman, le niveau de l’eau est déjà haut. Je dois m’arrêter à la gare et continuer à pied, je m’approche, l’eau monte 10, 20, 30 cm quand j’arrive à la maison. Trempé de toute part, nous décidons de mettre les meubles, frigo et autres en hauteur pour les préserver. 2 heures passent.
 Jeudi 15/07
  • 01:00
    ♂B : « Il faut évacuer, convaincre ta maman (86 ans) de quitter sa maison ». Nous sommes coincés au premier, plus de réseau, plus d’électricité dans la maison. Les frères ont été prévenus, ils arrivent avec un bateau. La course contre la montre commence, l’eau est froide, le courant important (à 5 dans l’eau pour garder le bateau à flot avec la maman au centre). De temps en temps, le nain (moi – 1,65m) : « Je n’ai plus pied ». Les frères (le plus petit fait 1,97) : « Je t’avais dit de grandir ». Et oui, dans des moments pareil, l’humour est source de force, il nous reste encore 20 mètres à faire, nous en avons fait la moitié.
  • 02:30
    La maman est en sécurité, il faut aider les voisins, isolé, sur les toits, dans les étages… Nous sommes partis pour organiser une chaine humanitaire des plus téméraires en attendant les secours. La nuit passera à une vitesse folle, il fait jour !
  • 07:00
    Épuisé mais satisfait, je dois rentrer, le boulot, les enfants, la vie doit continuer. Je monte dans ma voiture, je prends le chemin du retour. Les infos tombent, nous ne sommes pas dans une zone isolée, nous sommes même parmi les « chanceux » du drame qui s’annonce.
  • 08:30
    Après un retour chaotique, de nombreux détours au vu des routes impraticables, j’arrive à la maison. La vie continue sous la pluie. Réunions du matin…
  • 10:00
    Annonce aux infos que le plus dur doit arriver. Mais le frigo est vide et il nous faut faire des courses pour le midi. Je pars avec ma fille vers Liège centre. A peine arrivé, on ferme le centre, il faut évacuer. On aide à gauche, à droite. Je commence à prendre contact avec tous ceux que je connais qui sont dans les zones « touchées » Certains répondent, d’autres, beaucoup d’autres, pas !
  • 13:00
    Retour à la maison, épuisé, vidé, je tombe endormi.
  • 15:00
    Le téléphone sonne, « Salut ♂F, c’est la catastrophe à Verviers, tu connais des gens pour nous aider ? ». Je réponds : « On s’organise, par où pouvons-nous arriver ? ».
  • 15:15
    Message de la maman de mon fils : « Bonjour, nous devons être évacué par la police, je vais chez ma maman » (elle habite(ait) dans la région de Chênée).
  • 17:00
    Nous arrivons à Theux, les pompiers sont sur place. On exécute les ordres, on respecte les consignes. L’eau n’est pas plus chaude mais plus haute que chez maman, beaucoup plus haute. Un message de ♂T : « Je suis sur mon toit, la maison bouge ». Réponse : « va chez ton voisin, il est plus haut, on arrive ».
  • 20:00
    ♂T est sauvé, mais la nuit va être longue. Mais trop fatigué, je décide de rentrer, de toute façon l’eau est trop forte, trop haute pour faire plus.
  • 23:00
    De retour à la maison. Les informations sont alarmantes, les ponts de Liège sont sécurisés, les villages tombent les uns après les autres. Je m’écroule, assommé par la température, le contre-choc est là.
 Vendredi 16/07
  • 07:00
    Le réveil sonne. ♀A au téléphone : « ♂F, c’est la catastrophe ». Message de l’un, de l’autre, des réponses, des questions, une seule bonne nouvelle, la décrue a commencé, le plus dur est passé, on va pouvoir nettoyer « gentiment ». Je contacte tous les clubs Kiwanis afin de solliciter leur aide.
  • 10:00
    De retour le long de l’Ourthe, sur la route, un seul mot « la désolation ». Je ne reconnais plus rien. Là où j’allais en 30 minutes, j’y arrive au bout de 2 heures dans un décor que je n’avais vu que dans des films. La famille de ♂B est déjà sur place, l’eau a tout détruit et est montée jusque 1,9m dans la maison. L’odeur de mazout est insupportable, il nous faut sortir tous les quarts d’heure. Mais les bonnes nouvelles continuent d’arriver. Tous ceux que je connais sont sains et saufs, sauf 2. Nous avons aussi, enfin des nouvelles de ♂F (pas moi ?) de notre club, après 48 heures bloqué à l’étage sans manger, sans boire, il a été secouru. On nettoie le plus gros afin de pouvoir circuler dans la maison. La journée passe, le GSM chauffe, je réponds comme je peux, avec mes connaissances, mes contacts.
  • 15:00
    Contact avec le District par le biais de ♂H. Je réponds froidement : (je m’en excuse encore ♂H) « Je n’ai pas le temps d’arriver à mon PC, je suis sur le terrain. Le reste ne m’intéresse pas pour le moment, tout doit passer par mon GSM (Messenger / WhatsApp / SMS), pour le reste, c’est quand j’ai le temps ».
  • 18:30
    Suites aux réponses des clubs, le groupe « Kiwanis – Inondation » voit le jour. Tout le monde prend son carnet d’adresse et on commence. Je rasure tout ceux avec qui j’ai collaboré et qui demandent des nouvelles. Je cherche où sont les centres de crise les plus importants pour voir ce que le Kiwanis peut faire. Les premiers colis arrivent à la maison l’organisation se met en place.
  • 20:00
    Nous avons fini la première maison, il en reste…. Ben toute la rue à perte de vue !
  • 21:00
    Le groupe WhatsApp est en effervescence, l’organisation commence, les informations transites, le premier rendez-vous est pris pour demain 09h00.
 Samedi 17/07
  • 04:00
    Je rentre, nous avons fait le max pour aujourd’hui (expression avant d’aller dormir).
  • 07:00
    Le téléphone sonne, des réponses positives, de droite, de gauche. La journée s’annonce bonne.
  • 09:00
    Retour le long de l’Ourthe, des Kiwaniens arrivent, d’autres, on commence le nettoyage.
  • 10:00
    Ma secrétaire (♂H) prend ses fonctions après un appel plus chaleureux, rendez-vous pris pour 14h00.
  • 14:00
    Première réunion (et la seule pour moi, manque de temps) où l’on dresse le plan d’attaque de Kiwanis pour aider au mieux et de manière structurée.
  • 17:00
    A 20 personnes, la première maison est vidée et nettoyée, le sol est enfin propre, l’odeur est toujours présente, l’eau de la cave est toujours pompée. Le courtier d’assurance est passé. Mais il y a la suite, le reste. Je me rends pour la première fois dans le centre de crise « en vrai ». On échange les numéros, on s’organise, les voyages commencent entre les centres, chez moi. Ma secrétaire reçoit des messages « codés ».
  • 18:00
    Arrivée des premiers camions (45 tonnes de marchandises) qu’on se partage entre ♀A (Stembert) et moi. Ma secrétaire est bombardée de demandes, de liste suivant mon passage d’un centre de crise à l’autre.
  • 20:00
    Le combat politique commence, les villes bleues ne veulent pas aider les villes rouges et inversement. Je refuse de rentrer dans ce jeu et prend la responsabilité de décharger comme je l’entend. Le responsable surpris / choqué de ma réponse : « Voici mes coordonnées pour envoyer l’amende si vous n’êtes pas d’accord ». Je hais cette politique qui se pavane en période électorale et qui se bat quand il faut aider dans l’ombre. Pour arriver d’un centre à l’autre, on passe par des rues où le camion sait à peine passer entre les déchets / décombres sortis des maisons, ma voiture passe à peine certains trous. Mais nous arrivons à toucher tous les centres…
Dimanche 17/07
  • 01:00
    Fin du déchargement, il fait faim. Nous venons de remplir les 5 centres principaux de la région…
  • 01:30
    Je prends du recul dans le centre d’hébergement, besoin de calme. Je tourne la tête et je me retrouve face à un pendu. Un sinistré qui avait tout perdu, surtout son chien, la seule chose qui lui était encore chère. La laisse a servi une dernière fois. Ma fille qui m’a suivi une bonne partie de l’aventure ces derniers jours doit être préservée, faire semblant de rien. Moment très douloureux ou toute la détresse vous gifle.
  • 05:30
    De retour à la maison, il faut encore assurer la journée de demain.
  • 08:30
    Debout, il faut aller voir mon fils, le rassurer et passer un peu de temps avec lui. On charge la voiture de vivre pour les centres, et la ronde commence. Le téléphone n’arrête pas entre les demandes, les annonces, les réponses.
  • 10:00
    Enfin réponse des deux derniers. Dans mes connaissances, pas de victimes à déplorer. J’apprends qu’un centre pour enfants a été touché et évacué. Comment organiser au mieux une aide pour eux. Merci au club de Liège Condroz qui a pris l’évacuation en charge ainsi que le relais des demandes du centre.
  • 17:00
    La journée a été « calme », sur la route à gérer la logistique pour essayer d’alimenter au mieux tous les centres pris sous notre aile. Tous les enfants du centre sont au chaud. Il leur manque le plus important à leurs yeux, de quoi les occuper.
  • 18:00
    Dernière livraison prévue au centre de Beaufays. Il ferme, tous les sinistrés de la région Liégeoise sont enfin relogés en lieu sûr. Premier gros objectif réussi pour tous. Les centres nous remercient milles fois, nous sommes un des fournisseurs principaux avec 50 tonnes atteint !
  • 19:00
    Dans le bois en famille avec le chien. Douche, souper au calme. Et je prends le temps de vous répondre.
Ceci n’est pas un roman, ou le scénario d’un film. En aucun cas une mise en valeur, mais simplement ce que j’ai vécu et comment je l’ai ressenti.